Depuis la rentrée des classes, le 14 août, les enseignantes et enseignants francophones poursuivent leur approche des outils liés à l’intelligence artificielle (IA). Dans les établissements secondaires de la région, les diverses formes d’IA, en particulier Chat GPT, font l’objet d’une attention particulière. Quelques-uns avec une certaine aisance et curiosité, d’autres avec davantage d’appréhension.

Les terres inconnues suscitent des craintes, et l’exploration n’en est qu’à ses prémices. « Il y a encore beaucoup d’interrogations sur la dangerosité et l’opportunité de recourir à ces outils, qu’il faut savoir utiliser en toute connaissance de cause et avec les précautions d’usage », soulève Christian Rossé, codirecteur du Centre MITIC interjurassien (CMIJ), à Tramelan, qui fournit aux écoles de la région des conseils et ressources dans le domaine numérique. « Et comme des questions sont remontées du terrain suite à la sortie de Chat GPT, notre service a émis des recommandations aux écoles déjà en mars 2023. »
Comme il y a eu la calculette, puis le correcteur d’orthographe, il y a maintenant les IA, capables de générer sur demande des contenus illustrés ou rédactionnels. Parmi les dispositifs dans l’air du temps, ces génies virtuels ne sont pas censés révolutionner les professions pédagogiques. Ils s’inscrivent dans une évolution. En vue de faciliter des tâches en les accélérant, ils représentent des supports comme d’autres, qu’il s’agit maintenant de mieux connaître et d’ensuite d’apprivoiser peu à peu pour une application judicieuse et efficiente. La préparation d’un cours, entre autres, voire une introduction en classe pour les élèves de 13 ans et plus. « Ce que nous n’aimerions pas, par exemple, c’est la production de tests sans le contrôle, après coup, de ce que l’IA propose », prévient Christian Rossé. « L’enseignante ou l’enseignant doit toujours pouvoir maîtriser ce qui se passe en classe. »
Rappelons à ce sujet que, depuis l’été 2022, en prévision du futur plan d’études prédéfini, le corps enseignant suit une formation obligatoire de quatre ans autour de l’éducation numérique, qui intègre en filigrane un atelier dédié aux algorithmes et à l’usage polymorphe de l’IA. En juin dernier, à Tramelan, la Conférence de coordination francophone (COFRA) a d’ailleurs organisé un forum sur cette thématique. L’un des volets abordait la culture numérique auprès des jeunes, et notamment la manière dont ces derniers se servent de l’IA dans le cadre privé. Il questionnait dès lors les bonnes postures à adopter de la part du personnel enseignant.
De la prévention pour le moment
Dans les établissements secondaires de la région, les diverses formes d’IA, et en particulier Chat GPT, font l’objet d’une attention particulière. À titre toutefois préventif et ponctuel, pour le moment, et principalement lors des leçons d’éducation numérique. En charge de ces cours à l’école secondaire du Bas-Vallon, à Corgémont, Jennifer Schweizer observe que la plupart des élèves s’extasient devant le potentiel de Chat GPT, et que quelques-uns l’utilisent en dehors du cadre scolaire. D’où l’importance d’insister sur ses dérives possibles, à partir d’exemples et processus dépendant d’un savoir humain. « Les jeunes n’ont pas de compte en classe et c’est toujours moi qui ai la main mise », précise néanmoins l’enseignante. « Récemment, suivant la façon dont on formule la question à Chat GPT, je leur ai montré ce qui se peut se passer si je lui demande de me résumer le livre que nous lisons actuellement en leçon de français. C’était très intéressant, car il s’est avéré que cela ne correspondait pas tout à fait au contenu de l’ouvrage. L’un des personnages masculins était devenu une fille … » D’une discussion à l’autre sur le thème de l’IA, Jennifer Schweizer s’est aussi intéressée au point de vue des familles de ses élèves. « On s’aperçoit que certains parents sont foncièrement contre. » À l’école secondaire de Saint-Imier, Arnaud Baumann enseigne les maths, les sciences et l’éducation numérique. Pour l’introduction de certains cours, il lui arrive quelquefois d’avoir recours à l’IA. « Cela peut être pratique lors d’une nouvelle séquence d’enseignement, par exemple, lorsqu’il s’agit d’amener le fil rouge d’un sujet particulier. »
Un équilibre entre cantons romands
Afin d’établir un comparatif entre cantons romands, Christian Rossé a inclus un groupe de travail de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP). Force est de constater, qu’avec leurs sensibilités respectives, les différentes régions avancent de manière échelonnée à un rythme assez similaire. « Lorsque l’on tient compte des points communs entre les textes de cadrage de chacune, on s’aperçoit, qu’aujourd’hui, nous en sommes toutes et tous à sensibiliser les enseignantes et enseignants aux opportunités et aux risques », remarque le codirecteur du CMIJ, qui dénote également un visible équilibre. « Chaque canton essaie de profiter des forces des uns et des autres, sachant qu’il est difficile de trouver un ou une spécialiste qui ait à la fois la parfaite maîtrise des outils techniques et celle de la pédagogie. Ces personnes-là nous seraient précieuses, car elles nous permettraient de faire le pont entre les deux mondes … »
Salomé di Nuccio
Foto: Christian Knörr
EDUCATION 3.24